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Arnaud a tout perdu. Tout ce qui faisait le sens profond de sa vie. Sa raison d’être et de se lever le matin. Son fils unique Nivan, le 12 février 2016, emporté à 12 ans, par un gliome infiltrant du tronc cérébral diagnostiqué le 21 octobre 2015. Et aujourd’hui Karine et sa fille Chloé, après deux ans d’une spirale infernale qui finissait par les emporter tous les trois. Seul, et acculé à disparaître par la logique de destruction en oeuvre en lui depuis la perte de son enfant, Arnaud a choisi de renaître “comme un combattant de la vie”. Il partage une journée de son combat quotidien contre… “le monstre”.

 

“Réveil après 6 heures de sommeil, Cela faisait longtemps que je n’avais pas dormi 6 heures de suite.

J’ai effectué ma première séance de méditation en solitaire hier soir.

L’application nommée petit bambou ne pouvait pas mieux porter son nom tant je me sens fragile et frêle.. J’ai essayé de me concentrer comme demandé sur la respiration. C’est fou, j’étais tellement hermétique à ces pratiques jusqu’à lors… J’ai réellement ressenti un apaisement au bout des 10 Minutes que durèrent la séance. La sensation étonnante de l’air circulant en moi, celle aussi de sentir mon corps se gonfler ou se vider  au gré des échanges respiratoires.

Ces quelques minutes me donnèrent la sensation d’exister, “d’être” et dans la période actuelle ce fut comme une parenthèse. Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais vivant, légèrement moins stressé et empli d’une vie que mon souffle venait de valider indubitablement.

Je suis une page blanche tachée de sang et de larmes et il me faut écrire cette histoire que je ne voulais pas

Je vais essayer de poursuivre cette démarche, elle s’inscrit dans celle plus générale d’une renaissance centrée sur une meilleure connaissance de soi. Bien sûr, cela me semble bien futile, je suis ainsi passé en 2 ans d’une vie “normale” à la solitude la plus totale.

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Comme Nivan dans sa voie d’escalade, comme un équilibriste sur son fil

Je suis une page blanche tachée de sang et de larmes et il me faut écrire cette histoire que je ne voulais pas. Celle d’un homme qui n’a d’autre choix que d’accepter les souffrances inhérentes  à la renaissance, sans les certitudes d’un demain, et avec les souvenirs d’un hier.J’ai la sensation de jouer ma vie chaque jour, d’avoir à organiser ma survie de toute mon intelligence et de mes faibles forces. D’identifier mon état, d’en déduire un plan d’action et de m’y conformer.

“A marcher sur un fil, on prend le risque de tomber…”

Je ne sais pas ce qu’il adviendra de cette tentative, à marcher sur un fil, on prend le risque de tomber.

On espère aussi, bien malgré soi parfois, qu’un jour que l’on sait lointain émergera un équilibre, une autre forme d’harmonie.

Se battre pour sauver sa peau, les psychologues de l’hôpital furent clairs à ce sujet :

“L’homme est équipé pour survivre Monsieur  et il met en  place les stratégies qui visent à atteindre ce dessein.”

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La maisonnette des cendres de Nivan, dans le jardin où il aimait jouer

Alors je cours, je parle, je bouge, je pleure, je m’isole, je médite, je textote et je frappe des balles comme on se débat dans un mer déchaînée.

J’agis encore de manière désordonnée, tâtonnant dans cette expérimentation que jamais je n’aurais souhaitée.

J’ai cependant conscience que les modalités bégayantes de ma survie peuvent me donner la seule force profonde me permettant de trouver mon équilibre durable.

 

“Que serais-je en cette période sans l’amitié?”

Que serais-je en cette période sans l’amitié… Je ne compte pas les soutiens, les mains tendues d’un SMS, d’une heure de sport ou d’un café.

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Nivan chez ses grands-parents

Bien sûr, je lis parfois dans leurs mots ou leurs silences l’ampleur du désarroi que génère mon état, mais je sais aussi qu’ils sont là et c’est un réconfort immense.

Je tente de faire le bilan de ces journées qui s’organisent sans la main de Karine, que j’ai perdue après mes deux ans de dérive aveugle. Je parviens désormais à lire une forme de constante, et elle me servira peut-être à mieux accepter ce qui advient.

On m’a souvent demandé ou conseillé “d’accepter” ce qui advenait, cette douleur intense, insupportable et sombre qui nous saisit si régulièrement. J’avoue que je ne parvenais pas réellement à saisir le sens de cette “acceptation”.

L’acceptation ne veut pas dire la résignation et encore moins la soumission.

“Et puis le monstre est là, il nous emplit tout entier…”

Je tente de percevoir ce vide qui me happe de son obscurité opaque, ce monstre qui nait au fil des heures et je sais qu’il est vain de lutter … Alors mon regard se perd, les éléments extérieurs disparaissent, les phrases prononcées ou entendues ne sont que bruits et j’ai la sensation de n’être qu’une douleur.

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Nivan, un ange d’amour et de lumière

Hier, il était 17h lorsque j’ ai senti monter ce monstre. J’assistais à un match de volley-ball et je compris qu’il  arrivait. En donner la composition exacte est impossible, il est fait de rires d’enfants, de souvenirs et du futur des autres que l’on sait désormais interdit à notre propre histoire.  Il est fait aussi de cette nuit qui tombe, de cette fatigue que génère nos heures éveillées à nous débattre.

Il est les phrases que l’on regrette, les “si j’avais su” et les “nous aurions dû”.

Il grossit de minute en minute, venant progressivement nous couper tous les sens. La vision s’opacifie, le goût se perd, toucher n’est même plus une perspective. Sentir ne sert alors à rien, et notre ouïe semble se réduire à l’essentiel nous permettant d’esquisser les sourires ou les réponses que les phrases des autres réclament sans pour autant prendre conscience des discussions en place.

Et puis le monstre est là, il nous emplit tout entier et il convient alors d’entamer avec lui cette cohabitation forcée que notre condition oblige. Le visage se ferme, les mots se font plus rares, la respiration semble vouloir accélérer le pas et la mort nous tendre les bras d’un repos que l’on rêverait définitif.

Aujourd’hui j’ai repris ma voiture en compagnie de mon monstre. Bâclant les au revoir comme on rêve un adieu, j’ai essuyé quelques larmes sur la trentaine de mètres me séparant du cockpit. La nuit était noire et je le sentais immense..

J’ai alors appelé mon amie Hélène pour la première fois, comme on téléphone à un compagnon de cordée gravissant sa propre  montagne de détresse. Nous avons parlé de nos vies, de la fatigue et du Temps. De cette incapacité à aller plus vite, de ces moments de perdition et de l’écart existant entre nos vies et celle des autres que nous connaissons pourtant.

Je suis alors rentré chez Lionel, l’ami qui m’héberge, riche de cet échange. Triste et faible aussi, il était encore là…

“Me sentir normal dans l’anormal…”

J’ai cependant retenu  plusieurs choses de nos mots partagés.

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Nivan et Arnaud, à jamais

Même si pour chacun de nous, la survie s’opère différemment, il est des éléments auxquels on ne peut échapper. Le caractère “normal” de mon ressenti me fit du bien. Me sentir normal dans l’anormal est un apaisement.

La distorsion du temps, l’épuisement, la quête de sens vinrent également me rassurer.

Et puis il y a eu cet infime espoir distribué comme on offre un cadeau de sa voix fluette.

Si tu t’en sors Arnaud, tu vas être très fort et tu seras capable de vivre de très belles choses. De les vivre avec Nivan. Peut-être même avec Karine car les autres relations vont lui paraitre fades…

“Je résiste dans la tranchée comme un combattant de la vie…”

Une vision s’est alors imposée à moi: celle du combattant dans sa tranchée. J’entendis les balles siffler, les obus me frôler mais pour survivre je crois en mon destin et je rêve à demain.

Certes, Demain à trop souvent les cheveux longs et frisés et peut être que jamais plus je n’en humerai le parfum; mais je résiste dans la tranchée comme un combattant de la vie portant aussi  fièrement que possible son étendard bafoué du sang de son enfant.

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La voie de Nivan, l’association créée par Arnaud au nom de son fils

Qu’importe alors la durée du combat, la solitude du combattant, il faut vivre pour Nivan, pour moi et toutes ces personnes qui me tendent la main en lisant en moi la force et la noblesse d’une lutte que je mène de tout mon être.”

Arnaud Van Driessche, Metz le 4 décembre 2017IMG_5096

 

 

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