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Extrait du mémoire de recherche d’Emily Soussan,

Etudiante en Master de Psychologie sociale et du travail : santé, ressources humaines et risques psycho-sociaux

“Stress professionnel et Burnout chez les soignants en pédiatrie confrontés à la fin de vie d’un enfant” Septembre 2018

(Exploration d’une stratégie de coping proactive* afin de diminuer l’impact du stress émotionnel des soignants en pédiatrie, trouver du sens dans le palliatif quand le curatif n’y est plus… )

INTRODUCTION

Le point de départ de notre recherche est le constat d’un dysfonctionnement relationnel dans la triade patient/soignant/famille. C’est au travers l’écoute de récits de parents ayant vécu la fin de vie de leur enfant que certains points de discours ont interpellé notre attention et fait écho a nos cours de psychologie de la santé.

En effet, la majorité des récits, et ce même de nombreuses années après le décès, est empreinte de maladresses de soignants, de désintérêts pour l’enfant car pronostiqué incurable ou en échec thérapeutique. Nous avons été marqués par la ressemblance des discours, allant tous dans le sens de la déshumanisation de la relation. D’un œil extérieur et peu aguerrit nous avons rapidement fait la conclusion que la situation dramatique de l’enfant et sa famille, la violence des émotions subies par le personnel les avaient obligés à utiliser des stratégies de coping afin de préserver leur santé et leur bien-être. Nous décelons au travers des récits des parents un stress important du personnel médical, une fuite de la situation ou un acharnement.

Ce qui est vécu par les parents comme de la non considération de l’enfant et de sa situation nous le traduisons par une difficulté à faire face à des demandes émotionnelles excédant leurs ressources. Nous constatons également que les parents ont une grande acceptation de la fin de vie de leur enfant, comprennent que la maladie peut être trop invasive ou que la médecine a ses limites, mais ils semblent moins comprendre les réactions du personnel soignant, ils regrettent souvent que l’hôpital n’ai pas offert à leur enfant et à eux-mêmes une fin de vie digne, ils ne comprennent pas non plus la non considération de leur enfant une fois jugé incurable.

C’est à partir de là que nous avons voulu investiguer ce champs, étudier la manière dont les situations sont perçues et gérées par le personnel soignant et ainsi observer et trouver des stratégies de coping qui soient bénéfiques a la triade soignant- patient-famille.

Job Crafting* et quête de sens

Comme évoqué précédemment, en France, il n’existe pas de structures dédiées spécifiquement aux soins palliatifs pédiatriques, ces soins et ainsi ces petits patients et leur famille se retrouvent donc dans des hôpitaux publics ou des structures de soins généraux. Les patients, leur famille et le personnel les prenant en charge évoluent donc dans une structure ou le palliatif n’est pas la vocation principale, mais plutôt une voie alternative que généralement, et plus particulièrement en pédiatrie on ne veut pas emprunter. Le personnel soignant ne bénéficie pas du soutien psychologique et organisationnel présent dans les structures de soins palliatifs pour adultes.

Le fait de ne pas vouloir, ou bien de ne pas accepter que la mort s’invite en pédiatrie, ne l’empêche pas et ne la repousse pas, ce sont donc des situations auxquels les personnels soignants sont confrontés et qui sont incontrôlables et inchangeables. Les structures ainsi que son personnel se retrouvent donc à effectuer des prises en charges palliatives au milieu du curatif et ce, sans prise en charge spécifique du personnel, sans organisation particulière ni même sans formation adéquate des intervenants.

Comme le souligne Lalande et Veber (2009) à l’hôpital comme ailleurs, la mort reste tabou et son évocation met mal à l’aise, rappelons que ce rapport porte sur la population générale, alors que dire de la mort d’un enfant… ils ajoutent « les décès d’enfants (ou de jeunes mères isolées) constituent une épreuve particulièrement difficile, y compris pour le personnel soignant ; aucune réflexion n’est menée sur l’accompagnement spécifique que ces décès méritent tant pour les familles que pour le personnel soignant ».  Rajoutant à cela, la prise en charge de la mort ne figurant pas explicitement parmi les missions de l’hôpital, ce rapport conseil que « les établissements de soin devraient avoir l’obligation de suivi des soignants confrontés régulièrement à la mort ».

Vachon (1987-1995) a effectué une recherche sur le stress en soins palliatif (adulte) et observe que « les soins palliatifs bénéficient d’un soutien organisationnel spécifique, incluant un travail d’équipe, des temps de partage, des programmes de soutien du personnel et la communication au sein de l’équipe est encouragée ». Cet auteur indique que ce sont ces facteurs qui ont un impact sur la qualité de vie au travail et réduit ainsi le stress émotionnel. Son étude n’a ainsi pas révélé un niveau de stress plus important en soins palliatif qu’en soins généraux et cette absence de différence serait liée au soutien organisationnel spécifique à ces services. Ce qui est observable chez une population de soignant travaillant en soins palliatif adulte ne l’est certainement pas en pédiatrie, la cause repose sur l’absence de spécificité et donc de soutien organisationnel.

Esnard  dans la même optique que Vachon, indique que « l’utilisation des stratégies de quête de sens permet aux infirmières en soins palliatifs de s’adapter positivement au stress des deuils répétés en augmentant la vigueur et en favorisant une meilleure qualité de vie spirituelle » et d’ajouter «  l’influence à long terme des stratégies de quête de sens s’avère peut-être plus vaste qu’on l’imagine et c’est pourquoi ces stratégies constituent une voie fort intéressante pour la recherche et le bien être des infirmières en soins palliatifs ».

De ces constats et recommandations, nous pouvons déceler qu’initier au sein des services hospitaliers un levé du tabou de la mort, une réflexion sur la posture du soignant en cas de fin de vie d’un patient et une acceptation de la difficulté de ces situations pour les professionnels peut s’avérer bénéfique pour la triade patient – soignant- structure. Le Job Crafting, dans son versant cognitif pourrait être une piste envisageable afin de maintenir une qualité et une satisfaction de travail satisfaisante en dépit des situations incontrôlables. Le Job Crafting, en terme de « donner du sens » à la tâche, peut ainsi y trouver sa place et être une ressource disponible afin de redéfinir les aspects psychologiques, émotionnels et cognitifs de la tâche.

CONCLUSION

Le stress professionnel inhérent à la profession de soignant est une problématique ancienne et actuelle à la fois. L’organisation, le rythme et la charge de travail, ainsi que les difficultés en termes de matériel ou de personnel ont été démontré comme étant sources et conséquences du stress présent dans le milieu hospitalier. Dans le cadre de notre étude nous avons fait le choix de nous concentrer sur le stress émotionnel et cognitif. Plus spécifiquement nous avons voulu explorer l’impact de la confrontation et l’accompagnement quotidien de la mort durant l’exercice de son travail.

La mort est, de manière générale un « sujet tabou », que la société voudrait ignorer et dans le cas d’enfants, celle-ci semble inconcevable. Pour le personnel médical, en plus de l’aspect existentiel, cette mort fait souvent écho à un échec. Échec de la médecine, échec des traitements ou échec de la prise en charge. Accepter le décès d’un enfant semble donc lourd de sens et d’efforts (cognitifs, techniques) afin que celui-ci ne puisse avoir un impact sur le bien-être des professionnel.

Pour se prémunir contre ces demandes et exigences liées au travail, les professionnels mettent en place des stratégies d’adaptation (conscientes ou inconscientes). Parmi celles-ci, nous nous sommes intéressés au job crafting et spécifiquement dans sa dimension cognitive. Nous pensions qu’adapter ses cognitions, redéfinir le sens de son travail, de sa pratique et de sa posture professionnelle dans les cas d’accompagnement et de décès d’enfants en milieu hospitalier général (et non en structures spécialisées inexistantes en France) pourrait être une ressource pertinente. Les analyses statistiques de nos données ont permis de mettre en exergue un effet significatif de l’adaptation et la redéfinition du sens donné à la prise en charge palliative sur le stress professionnel causé par ces situations.

Nous pensons également que cet effet pourrait être encore plus probant en sensibilisant et en offrant au personnel médical un espace de communication et d’échange sur la difficulté émotionnelle de la  prise en charge palliative. Nous pensons également que sensibiliser les soignants à la quête de sens dans l’acceptation du décès pourrait diminuer les sentiments d’échecs et le recours aux mécanismes de défense de déshumanisation ou d’évitement. Cela leur serait bénéfique autant qu’aux patients et à leur entourage.

Nous avons également introduit la notion d’adéquation valeurs – compétences liées à la profession et présentes (ou non) dans l’organisation. Les analyses ont démontrées que plus que l’adéquation de la personne à son travail, l’adéquation de la personne aux valeurs de son entreprise était liée. Nous avons conclus que l’adéquation d’un salarié avec son organisation avait un effet sur le burnout. Ce champ d’investigation, assez restreint, mériterait une attention particulière de par l’impact que peut avoir l’accompagnement du décès sur les professionnels de santé mais aussi sur les patients en fin de vie et leur entourage.

Si vous souhaitez avoir accès au mémoire dans sa totalité, contactez le Point rose : lepointrose@yahoo.com

* Coping proactif : vise à prévenir des stress futurs, à améliorer la qualité de vie (ici, au travail) et à atteindre des buts.

*Job crafting : laisser un collaborateur libre de « façonner » son travail pour le rendre plus attractif.

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