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Le 16 avril 2020,  Le Point rose a organisé une séance de coaching parental à distance avec les psychologues et psychothérapeutes Coralie Laubry et Audrey Platania-Maillot du Centre de psychologie intégrative Cogito’Z Marseille sur le sujet : Comment aider nos enfants face à la mort d’un frère ou d’une soeur?  

Les réactions et les difficultés des enfants face à la mort, souvent en miroir des nôtres, sont nombreuses et sources chez leurs parents d’interrogations sur la meilleure attitude à avoir pour les aider et ne pas les aggraver. Quand il s’agit de la mort d’un frère ou d’une soeur s’ajoutent à ces difficultés, la propre souffrance des parents. Comment les rassurer et accueillir leur souffrance sans nier la nôtre? Comprendre les réactions des enfants et ados, déroutantes parfois, pour mieux les accueillir, puis les accompagner, tout en renant compte de nos propres difficultés, c’était l’enjeu de cette séance privilégiée avec les psychologues spécialisées de Cogito’Z, partenaire de l’association, qui inspire cet article.

 

Beaucoup d’idées reçues et de confusions

Chez les parents, il y a beaucoup de peurs, de confusions et d’idées reçues sur la bonne attitude à avoir avec son enfant sur le sujet de la mort :

  • Lui parler de la mort va faire du mal, faire peur à l’enfant
  • La mort de son frère/sœur va le priver de son enfance et lui faire perdre son insouciance et innocence d’enfant
  • La mort de son frère/sœur va le traumatiser ou le marquer pour la vie
  • A son âge, il ne comprend pas

Mais, par delà ces peurs, il est essentiel d’associer l’enfant à tous les événements importants qui touchent sa famille, quelque soit son âge. Le pire est toujours le silence et le tabou qui ne préservent jamais l’enfant de la souffrance psychologique. Ne pas parler d’un sujet douloureux n’empêche pas d’en souffrir. Au contraire. Aider l’enfant à mettre des mots sur ses ressentis, ses peurs, sa souffrance est essentiel.

Principe de réalité dans les représentations et l’annonce de la mort

L’adulte doit garantir trois repères cognitifs face à son enfant sur le sujet de la mort, pour l’aider à se construire une représentation de la mort:

  • La notion d’irréversibilité : Le corps ne reviendra plus jamais.
  • La notion d’universalité : toute chose vivante meurt, la mort fait partie du cycle de la vie.
  • La notion de permanence de l’amour : Même si le corps n’est plus là, l’amour lui est toujours là et ne meurt jamais.

Comment annoncer la mort à son enfant ? La vérité avant tout. L’enfant va percevoir chez ses parents tous les signaux, et toutes les émotions. Et l’absence de vérité risque de le conduire à inventer des scénarii bien pires et plus angoissants encore que la réalité. Lui dire la vérité et le plus tôt possible est essentiel.

Il est néanmoins important de tenir compte du mode de pensée d’un enfant.

La pensée de l’enfant est ancrée dans le palpable, le concret. Cette pensée concrète des enfants les fait prendre aux pieds de la lettre ce qu’on leur dit et peut conduire à des représentations erronées :

  • « Il est au ciel » à je vais pouvoir le voir en avion ?
  • « il est parti » à quand va-t-il revenir ?
  • « Il s’est endormi pour toujours » à j’ai peur de dormir

Et même si ses questions et ses représentations peuvent être déroutantes, il faut accompagner l’enfant dans ce cheminement de pensée concrète. Construire une histoire, un récit qui face sens pour l’enfant, en tenant un discours le plus respectueux de la chronologie, de la vérité, et de la pensée concrète de l’enfant.

On peut aider l’enfant à imaginer et extrapoler à partir du moment où on a mis en place le principe de réalité et qu’on le respecte.  Il est alors possible par exemple de transmettre à notre enfant l’idée que son frère/sœur est toujours présent et envoie des signes, dès lors qu’on respecte le principe de réalité et ce processus de déstructuration.

Le deuil est un processus de cicatrisation psychique qui suit des étapes chez l’enfant comme chez l’adulte. Ce processus aboutit à une étape essentielle de déstructuration  qui permet un réaménagement psychique pour accepter et intégrer l’absence. C’est une phase de repli sur soi, comme un temps de pause psychique qui permet de retravailler nos représentations et de transformer la nature du lien au défunt.  Le processus du deuil permet ainsi de basculer d’un lien physique à un lien psychique. Il est important d’accompagner l’enfant dans cette phase de déstructuration.

Le processus du deuil chez l’enfant ou l’ado suit les mêmes étapes que chez l’adulte. Mais la maturation du cerveau est différente, notamment les zones de régulation émotionnelle qui n’arrivent à maturité qu’à 25 ans. Donc ce n’est pas les étapes qui sont différentes, ce sont les outils émotionnels qui ne sont pas les mêmes. Alors comment accompagner l’enfant dans ses émotions en en tenant compte?

 

Comment accompagner l’enfant dans ses émotions pour l’aider à faire avec, et à les élaborer ?

Partager les émotions est essentiel. Cacher ses propres émotions à son enfant est peu rentable et efficace car l’enfant va les sentir. Par le mécanisme des neurones miroirs, nos cerveaux sont comme connectés émotionnellement, même quand on ne dit rien. Encore plus entre un enfant et ses parents. Il vaut mieux alors verbaliser ses propres émotions plutôt que de les cacher, et aider ainsi l’enfant à élaborer lui-aussi ses émotions. Si l’émotion est trop forte (celle du parent ou celle de l’enfant), mieux vaut s’éloigner ou attendre. Il faut partager l’émotion quand on est capable d’accompagner celle de l’enfant.

Respecter la congruence entre ce qu’on dit et ce qu’on vit. Si je dis « je vais bien » quand je ne vais pas bien, il n’y aura aucune valeur dans les vrais « je vais bien » quand je les exprimerai. La congruence permet d’exprimer à l’enfant des messages authentiques que l’enfant va entendre et même ressentir comme “vrais”. Et cela l’aide à apprécier la valeur des messages quand on lui dit qu’on va bien ou mieux. Cela l’aide aussi à avoir confiance en ce qu’on lui exprime et en ses propres ressentis.

Laisser s’exprimer l’émotion. Face à l’émotion d’un enfant, on a tendance à vouloir le consoler ou à vouloir en faire quelque chose. Mais le simple accueil de l’émotion permet souvent de désamorcer et de calmer l’émotion. Ne pas avoir peur de l’émotion, et ne pas chercher à vouloir l’arrêter tout de suite. Entendre le message que délivre cette émotion. Encore plus chez les ados, chez qui l’émotion peut être encore plus violente: ne pas en avoir peur, le laisser l’exprimer. L’émotion et son expression ne sont pas un problème en soi. Le problème apparaît quand cette émotion se fige autour d’une colère ou d’une souffrance.

Face à un enfant ou un ado en colère, il est important de ressituer le sens véritable de sa colère (colère liée à la mort de son frère/sœur) et ensuite accueillir cette colère. L’enfant/ ado a le droit d’exprimer sa colère, on peut même lui proposer des moyens pour l’aider à l’exprimer. Mais il faut aussi poser des limites pour éviter que cette colère embrase toute la famille (on ne tape pas, on n’insulte pas…).

Face à un enfant/ado inhibé, qui se ferme ou évite le sujet de la mort de son frère/soeur, il y a toujours des petits moments dans la vie quotidienne à attraper pour saisir un moyen de parler et de l’aider à élaborer ses émotions. Pas forcement en parlant du sujet proprement dit, mais par le détour d’un tout autre sujet qui se présente et qui génère chez lui de la colère ou de la tristesse par exemple.

La peur de la séparation est fréquente chez beaucoup d’enfant après la mort d’un frère/sœur. Sa mort perte génère chez l’enfant une insécurité affective. Il a besoin de se rassurer et de restaurer son sentiment de sécurité affective interne par le contact physique : besoin d’attention, de présence, besoin de toucher, de dormir avec ses parents… Il faut entendre son besoin et l’accepter sans aller trop loin. Le prendre dans ses bras est un moyen efficace de le rassurer. On peut aussi aller avec l’enfant dans ses peurs : « Et si je mourais moi aussi? Et si papa mourait lui aussi ? Qu’est-ce qu’il se passerait…». Aller jusqu’au bout de cette peur pour élaborer les scenarii les plus catastrophiques, y aller… Cela peut nous renvoyer bien sûr à nos propres peurs. En avoir conscience aide à les dépasser. On peut aussi aider son enfant en l’aidant à se projeter dans le temps : « Et toi quand tu seras grand, très vieux… ».

Faut-il être soi-même bien émotionnellement pour faire cela ? Pas forcément. Même si nous-mêmes, on se sent mal ou en insécurité, ce qui compte c’est le lien, le lien dans ce qui va se passer, comment on va le vivre. Plus on lutte contre une émotion, plus elle se renforce. Il faut entendre et comprendre le message de l’émotion pour qu’elle passe.

L’enfant ou l’ado va éprouver un sentiment de colère, un sentiment de dégoût face à une telle injustice de la vie. Plonger avec l’enfant dans ce sentiment d’injustice de l’enfant ou de l’ado pour pouvoir en parler avec lui. Plutôt que le convaincre du caractère infondé de son sentiment d’injustice ou de culpabilité. Commencer par aller avec lui dans ses raisonnements : « allez et si tu avais fait ceci… ou cela ? et si…. ».

La tristesse a une fonction comme toutes les émotions. Son message nous dit que c’est fini, qu’il y a un avant et un après, qu’un réaménagement de notre vie est nécessaire. La tristesse est essentielle à accueillir, et elle permet de créer à nouveau, de se remettre en mouvement.

La joie c’est la force vitale. L’en-vie. Elle vit à l’intérieur de nous tout le temps. Elle peut être en sourdine mais elle n’est jamais perdue et elle sera toujours disponible et active dès qu’on arrivera à s’y reconnecter. Le problème est que souvent on se l’interdit alors qu’elle nous relie à la vie. Elle n’est pas exclusive. On peut ressentir de la joie et garder sa tristesse. Nos interprétations, croyances viennent souvent valider l’interdiction de la joie (si on est joyeux, c’est qu’on n’est plus triste).

Face à un enfant, un ado ou un adulte qui évite le sujet de la mort de l’enfant : capter les émotions qui passent et viennent s’exprimer sur un autre sujet, faire un pas de côté pour contourner les verrous défensifs, attraper dans le quotidien ce qui permet de saisir l’émotion quand elle apparaît (réaction devant un sujet d’actualité à la TV, réaction excessive face à une scène de la vie quotidienne…).

Frère, sœur, je t’aime, je te hais

Ambivalence des sentiments, et des liens dans la fratrie à la vie, à la mort. A la mort d’un enfant, soulagement possible de l’enfant qui imagine pouvoir ainsi récupérer la part de l’amour de l’enfant défunt. Ce qui peut engendrer ensuite beaucoup de culpabilité chez lui. Dans cette situation, ne pas aller dans un renforcement de la culpabilité (ne pas être choqué, éviter les injonctions « ce n’est pas bien », « tu n’as pas honte ? ») car on ne contrôle pas ses émotions. Donc si on renforce la culpabilité l’enfant peut se sentir, se penser une mauvaise personne.

Le deuil dans ses dimensions familiales

Principe systémique. On est défini comme soi mais aussi comme élément du système. Dans une famille, pour que le système fonctionne, il faut que chacun ait son rôle, sa place. Quand l’un bouge, quand un enfant décède, tout le système bouge. Concept d’homéostasie.

Le deuil est la plus grande crise que le système familial va traverser. Il vient aussi ébranler les liens. Mais la famille peut-être un lien de réassurance des liens pendant la crise en tenant compte de ce que chacun vit et de ce que ça fait vivre aux autres.

Comment en tant que famille on va se réorganiser sans l’enfant absent. Quand la personne n’est plus là, il va falloir faire bouger les relations au sein de la famille.

Travail de deuil familial 

  • accepter la réalité de la perte
  • se regrouper
  • se réorganiser au niveau familial puis dans ses relations extérieures
  • construire un nouveau système familial

Facteurs favorisant la cohésion familiale : partager des récits heureux familiaux, aller y piocher des souvenirs cela active les hormones du bien-être. La nostalgie n’est pas négative, elle donne du sens à ce qu’on a vécu et elle fait du bien. Cela reste vivant et donc actif dans l’histoire familiale.

La chambre, la refaire, la ranger ou rien changer ?

Pour transiter d’un lien physique à un lien psychique (doudou), proposer à l’enfant d’avoir une boîte à trésors. Sans tomber dans une maison sanctuaire car le lien doit s’intérioriser, pouvoir passer d’objets concrets et matériels à une présence psychique, intérieure. Après il est important de redonner aux objets leur statut d’objet. Pour que l’amour incarné dans l’objet retrouve sa place intérieure.

Les réactions des frères et sœurs. Deux grands profils

Il est fermé ou tout le temps en colère, on dirait qu’il nous fait payer quelque chose. Il faut cependant déconstruire cette représentation qu’il nous fait payer. Le parent est juste le réceptacle de sa colère, l’aider à réorienter sa colère vers son véritable objet (injustice de la vie). Et la colère peut masquer aussi une autre émotion, la tristesse. Elle peut être une lutte pour ne pas tomber dans la tristesse.

La colère est difficile à vivre pour nous car notre feed-back reactive notre propre culpabilité (et si c’était vrai), notre propre sentiment d’injustice, notre propre colère.

L’enfant qui fait tout pour nous aider, nous consoler, compenser. L’enfant a une forme d’empathie qui le connecte à la souffrance de ses parents, et qui les coupe parfois de leur propre souffrance par ce qu’ils ne peuvent se confronter à leurs propres émotions, souffrance. Il faut être vigilant face à ces enfants qui ont l’air trop bien.

Attention aux petites phrases telles que « heureusement que tu es là » qui induisent une lourde responsabilité à porter pour l’enfant. On peut l’accueillir, le remercier pour tout ce qu’il fait mais le remettre à sa place d’enfant, le rassurer sur le fait que l’on fait tout pour aller mieux, que l’on se fait aider si besoin et que bientôt on ira mieux. Bien faire comprendre que même si actuellement on est vulnérable, on continue à prendre soin de soi, et même à l’extérieur de la maison. Pour pas que le parent aie le sentiment que cela repose sur ses épaules et que si lui ne prend pas soin de son parent, alors il est seul et personne ne l’aide et ne le soutient.

Voir sa maman ou son papa triste insécurise l’enfant, lui fait peur et le rend triste. Il a peur de se confronter à sa propre tristesse. Les ados ont souvent du mal à parler de la mort de leur frère/soeur avec leurs parents.Ils ont peur de leur souffrance, de leur culpabilité, de leurs méotions. Ils vont donc avoir tendance soit à fuir (ou préférer parler à l’extérieur), soit à vouloir protéger et ménager leurs parents.

Certains enfants se donnent ainsi pour mission d’aider ou de faire rire leurs parents. Il est alors important de les remercier, mais de leur expliquer aussi qu’on peut rire mais que parfois on n’en a pas besoin. Et qu’on a même besoin de se ressourcer à l’intérieur de soi. Que même si là tout de suite c’est dur, lui dire de ne pas s’inquiéter, que l’on fait ce qu’il faut pour aller mieux et que cela va revenir. Le deuil d’un frère ou d’une soeur est différent du deuil d’un enfant. Dans ce deuil, les parents et les enfants n’ont pas les mêmes besoins. La nature du lien détermine la nature du deuil. Quand ils perdent un enfant, les parents ont souvent le sentiment que leur vie s’arrête; alors que ses frères et soeurs vont avoir le sentiment que la vie continue et avoir besoin que cette vie continue justement. Les besoins comme les ressentis sont donc très différents.

L’enfant posera les questions mais il ne peut les poser que s’il sent qu’il peut les poser. Certains parents ont peur que le bébé arc-en-ciel vienne questionner alors les enfants sentent qu’il ne faut pas en parler et donc cela complique la situation, un vide vient s’installer et quelle place peut prendre l’enfant ? C’est compliqué bien sûr d’en parler car il y a une part d’inquiétude en projection. On en peut éviter cette inquiétude. Mais bien expliquer à l’enfant que lui est unique dans la famille. Que l’amour ne se partage pas, mais qu’il se multiplie.

“La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est apprendre à danser sous la pluie” (Sénèque)

Photos extraites du film Soleil Battant de Clara et Laura Laperrousaz

➡️ Coralie Laubry est psychologue, psychothérapeutes et directrice de Cogito’Z Marseille, et Audrey Platania- Maillot, psychologue, psychothérapeute et responsable de la Clinique Cogito’Z et Développement.


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