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Nous avons reçu le témoignage de Marion qui nous raconte l’histoire de son bébé dans le service de réanimation néonatale. A travers ses mots simples, pudiques, on lit la même souffrance que celle des mamans qui ont perdu un enfant, plus âgé et quelque soit son âge. Mais, on lit aussi l’isolement d’un vécu qu’elle s’autorise à partager avec nous, pour aider et libérer du silence beaucoup d’autres mamans qui ont vécu la même perte douloureuse et traumatisante, sans accompagnement.

 

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Marion, ancienne infirmière en CHU à Marseille

“Depuis la création du Point rose, j’ai pensé plusieurs fois raconter mon histoire, mon ressenti sur les soins palliatifs en milieu pédiatrique…Cependant, ce n’est pas en milieu pédiatrique, mais en réanimation néonatale que nous avons vécu, nous et notre fille, une expérience traumatisante… En effet,  je n’ai pas perdu un “enfant” mais un bébé. Ce qui est dur mais encore différent de lorsqu’on perd un enfant avec qui on a des souvenirs, beaucoup plus de vécu, etc… Je le sais car maintenant j’ai 2 enfants, Marc-Antoine et Olivia, de 4 et 3 ans… Enfin, Hannah-Clara est née le 13 septembre 2010. Lors de l’accouchement, l’équipe n’a pas détecté la souffrance fœtale…Deux heures après l’accouchement, elle a convulsé… partie en réanimation néonatale. Elle y est restée 28 jours. Au delà de la perte de ma fille, ce qui fut le plus insupportable et qui le reste encore aujourd’hui, ce sont ces 28 jours en réa… avec une prise en charge scandaleuse, des équipes médicales qui ne s’entendaient pas, une communication plus que minable, un chef de service qui ne savait pas “parler” aux parents… Je pensais bêtement qu’en 2010 à l’époque, dans un service de ce type, les équipes étaient formées pour affronter ces situations douloureuses, mais il n’était question que d’éthique, de loi Leonetti… A partir du moment où ma fille a été placée en soins palliatifs, les soignants nous ont considérés d’une autre manière… et de la pire manière! Nous restions des journées seuls dans une petite chambre sombre, au fond d’un couloir. Les membres de l’équipe soignante ne venaient pas nous parler, ne serait-ce que pour demander “comment ça va?”. Des choses que l’on fait lorsqu’on est simplement humain il me semble… Les médecins détournaient leur regard quand j’apparaissais dans les couloirs, et je passais pour l’enquiquineuse de service lorsque je posais trop de questions ou demandé à faire une réunion pour faire un point sur la situation, même désespérée d’Hannah-Clara.

img_8150Cette équipe de soignants même dans la prise de la décision finale sur l’avenir de notre fille ne nous a pas aidés, entourés… Jusqu’au jour du départ d’Hannah-Clara, où l’on m’a demandée de me dépêcher, de ne pas me recueillir  trop longtemps, parce qu’on allait venir chercher ma fille pour la mettre dans un sac en plastique, et qu’il valait mieux pas que je vois ça….
Pourtant, lors de mes cours pour devenir infirmière, nous avons eu des pavés sur l’empathie, la prise en charge des patients en fin de vie, leur famille…. Mais enfin, que font les médecins!!!!? Dès lors où ils ont eu les clichés du scanner cérébral de ma fille qui montraient de très graves lésions, ils l’ont complètement laissée tomber…ils nous ont laissés tomber… Et débrouille-toi avec ça… quand tu rentres chez toi…avec le vide, et l’enfer de ce que tu as passé en réanimation néonatale face à des équipes incompétentes sur le plan humain…, on est comme choqué! Je crois que c’est bien le mot!” 
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Marc-Antoine et Olivia, le frère et la soeur d’Hannah-Clara

Le manque d’accompagnement et de soins palliatifs se posent aussi en néonatalité. Or, les bébés et leurs parents, même s’ils n’ont vécu que quelques jours, semaines ou mois, doivent être accompagnés comme tous les enfants en fin de vie. Le bébé existe pour ses parents depuis 9 mois, et la maman n’attend pas de savoir si son enfant est viable pour commencer à l’aimer. La perte d’un bébé en néonat est forcément traumatique, même si les souvenirs sont moins nombreux. Elle se sent maman de ce bébé, et privée de ce bébé qui aurait du vivre. Après lui avoir donné la vie, une maman ne peut se résoudre sans beaucoup de souffrance à la mort de son bébé. L’absence de soins palliatifs est vécu alors tout aussi cruellement.
Après nous avoir raconté l’histoire d’Hannah-Clara, nous avons remercié Marion de son partage en lui demandant si son récit ne l’avait pas trop brassée et replongée dans des souvenirs douloureux. Et Marion, nous a répondu ces mots bouleversants…
“C est bizarre mais quelque part je suis “heureuse”pour Hannah-clara d’avoir écrit ce petit témoignage, c est lui rendre hommage d’une certaine manière… Ne vous inquiétez pas, reparler de tout ça ne m’a pas replongée dans cet horrible moment… De tout facon ,même si ce n n’est plus aussi vif que les premières années, tous les jours j’y pense un peu, et la réa est toujours dans un coin de ma tête. Malgré tout, nous avons aussi de la chance de vivre à une époque, où il est difficile mais possible de parler de la perte d’un enfant, du deuil, où il existe des groupes de paroles, etc.. 
Je pense toujours à mon arrière grand-mère, une dame extraordinaire, comme toute ces femmes de l’époque j’ai l’ impression! Elle a perdu deux filles coup sur coup. Une première petite fille à 5 ans, sûrement d une tumeur cérébrale au regard des symptômes,mais à l époque pour poser un diagnostic…Et la seconde à 2 ans, de la coqueluche… Elle n en a jamais parlé…toujours souriante, toujours compréhensive des autres… Ma grand-mère qui était sa première fille et qui a ainsi vu mourir ses sœurs, n’a jamais pu en parler avec sa mere. Elle m’ en avait parlé très vaguement quand j étais plus petite…, puis plus rien… Ces histoires sont ressorties lors de la disparition d’Hannah-Clara…
Depuis, je pense tellement à mon arrière grand-mère, qui n a jamais pu en parler avec personne, parce qu’à l’époque, c’était encore plus tabou et qu’il ne fallait pas pleurer devant les gens, ou qu’on ne pouvait pas rester dans son lit une journée entière juste parce que “c’est pas le jour”. Aujourd hui, j’essaie de faire revivre un peu ces petits filles qui ont vécu qui sont mes grandes tantes et les arrières grandes tantes d’Hannah-Clara. Elles s’appelaient Henriette et Francine… A chaque Noël depuis, je mets leurs photos sur notre sapin, et je pense souvent à elles et je les imagine en lien avec Hannah-Clara… Alors oui, les choses changent un peu quand même avec la société, et je suis persuadée que grâce au Point rose, les choses avanceront encore plus dans les hôpitaux, et au niveau des médecins et du personnel médical.”
 Alors merci à Marion d’avoir témoigné pour nous et de nous avoir raconté son histoire qui aidera beaucoup de mamans et de papas qui n’osent parler de la perte de leur bébé, ou qui se sentent moins légitimes que d’autres parents en deuil. Grâce à Marion et à Hannah-Clara, nous espérons qu’ils comprendront que s’agissant de la perte si contre-nature d’un enfant ou d’un bébé, quelque soit son âge, aucune souffrance n’est négligeable, ni hiérarchisable. Toutes contiennent cette part d’indicible sur laquelle il est important, urgent, vital même, de mettre des mots. Et en mettant des mots sur le silence et l’indicible, on reconnait Hannah-Clara, Henriette, Francine. On reconnait tous ces enfants si importants qui ont compté pour nous et qui continuent à compter pour nous. Et on leur donne une place en nous, dans nos vies, qui aide à apprivoiser la souffrance et à continuer à vivre et aimer.
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